A
peine descendus de l’avion, pas le temps de faire la sieste, un grand concert
nous attend! Un concert unique, à l’affiche improbable, monté par le boss du
label new-yorkais
Norton Records afin de célébrer dignement ses 50 printemps. Si
Norton réédite les Sonics, les Wailers, les Flamin’ Groovies, Link Wray, Gene
Vincent, les Pretty Things et bien d’autres qui ont la guitare qui les démange,
le label s’est également fait une spécialité en rééditant en 45t et LP des
artistes soul surdoués ayant parfois trop vite sombré dans l’oubli. Ou en
signant ceux qui sont encore productifs, cf le dernier album studio d’Andre
Williams. Bref, pour se préparer à une soirée qui s’annonce très dansante, on
arpente les longues avenues de Brooklyn à pied jusqu’au Southpaw. Le club semble
faire la même capacité que le Nouveau Casino. C’est bien le seul point commun
entre les deux salles, le Southpaw étant nettement plus chaleureux! Le décor
fait dans le 70s oldschool, moquette marron recouverte de pochettes de LP aux
murs, vieux fauteuils en cuir dans les coins, une petit scène de théâtre avec
rideau rouge. Avec la musique de Mr Fine Wine
(DJ à WFMU et producteur de l’émission « Downtown Soulville ») dans les
enceintes, on est parfaitement dans l’ambiance!
C’est
Lonnie Youngblood,
surnommé le prince de Harlem bien qu’il soit natif de Georgie, qui ouvre le bal.
On se rend rapidement compte qu’il n’a pas pris sa première leçon de sax la
veille du show! Il faut dire que son CV est impressionnant. Exemple : la
première fois qu’Hendrix a enregistré en studio, c’était fin 1963 en tant que
guitariste de Lonnie Youngblood! Notre homme a accompagné de très grands noms du
r&b parmis lesquels James Brown, Sam & Dave et Jackie Wilson. Venons-en au
présent. A 60 ans passés, le gars Lonnie a encore une pêche d’enfer, utilise son
instrument comme un dieu et a fait groover la salle en moins de temps qu’il ne
faut pour le dire. 30 minutes de sax et de puissante voix soul à fond les
ballons, accompagné par
Bill
Sims, un discret guitariste pas non
plus né de la dernière pluie, ainsi que par le bassiste des A Bones et un
batteur, plutôt bons musiciens mais qui, dans le décor, font forcément
blancs-becs! Voilà à quoi ressemblera le backing-band de la soirée, plutôt une
bonne nouvelle. Le ton du show est donné et il n’y aura aucune interruption.
Après cette fabuleuse ouverture, c’est le Great
Gaylord qui entre en scène. On ne sait trop rien de
lui à part qu’il a sorti un 45t sur Norton. Mais il est meilleur en live! Il est
super bien sapé pour l’occasion, chemise blanche, costard gris, cravate noire.
Et surtout, il a une voix rauque à faire palir les plus grands soulmen! Ile ne
reste que pour quelques morceaux mais il a une présence et un sacré potentiel.
Suivent les Fabulous Soul Shakers, trio
new-yorkais de soul vocale. Ils sont classieux, ont de la voix et assurent dans
le genre mais je dois dire que les harmonies vocales, ce n’est vraiment pas mon
truc. Pas le clou de la soirée en ce qui me concerne. Et puis tous seuls, ils
sont un peu nus!
Vers 22h30,
Rudy
Ray Moore arrive on stage. Plus tôt, il se
baladait dans la salle, serrait des louches et surtout, il était installé à son
stand où l’on pouvait acquérir disques, DVD et autres objets à l’effigie de
Dolemite, son fameux personnage. Après avoir commencé une carrière de chanteur
soul au début des 50s, il a sorti un paquet de comedy albums (depuis, le sexe
est son sujet de prédilection) avant de produire et jouer dans nombre de films
de blaxploitation à partir du milieu des 70s. Notre homme commence donc sa
prestation par quelques blagues de cul bien crues dans un slam difficilement
compréhensible quand on vient de loin! Il balance des « dick » et « fuck » à
toutes les sauces, le public, mort de rire, apprécie. Le bougre est aussi là
pour draguer et à dans son escarcelle des roses en tissu qu’il offre aux plus
belles filles de l’assistance! Finalement, il présente le candidat suivant...
The Great Gaylord & Lonnie Youngblood
Bill Sims
Rudy Ray Moore
Rudy Ray Moore, The Mighty
Hannibal
& Lonnie Youngblood
...qui n’est autre que The Mighty Hannibal,
lui-même, en personne! Première constatation, le turban est toujours en place
mais celui qui a également enregistré sous le nom de King Hannibal (notamment le
tube anti-drogue « The Truth Shall Make You Free » en 1972) est sérieusement
amaigri et édenté. Qu’importe, il tient bien en place, bouge encore et enchaine
ses hymnes 60s et 70s, aussi bien r&b que funky. On citera entre autres «
Jerkin’ The Dog », « Fishin’ Pole », « Get In The Groove », « Good Times » ainsi
que le tube précité (on les retrouve d’ailleurs en bonne compagnie sur
l’indispensable LP « Hannibalism! », paru en 2001 chez Norton). Respect. Ses 64
ans (il en fait bien dix de plus) ne l’empêchent d’ailleurs par de lancer un
appel au public féminin à la fin de son set : « If you like old perverts, meet
me backstage! ». Voilà qui est clair!
Ensuite, c’est le légendaire Gino Washington
(souvenez-vous de « Out Of This World ») qui aurait dû être de la fête mais Rudy
Ray Moore annonce qu’il est absent pour on ne sait quelle raison. Dommage... Le
Great Gaylord revient alors pour annoncer un invité de marque imprévu :
Barrence
Whitfield! Il assène quelques morceaux r&b
bien sauvages dont son classique « Mama, Get The Hammer », absolument
incroyable! Apparemment c’était spécialement pour l’occasion car ça fait belle
lurette qu’il ne joue plus ce titre killer. Un de plus qui tient la forme.
Il est plus de minuit, la fête est loin d’être finie et c’est au tour de
Nathaniel Mayer de faire son apparition, tout de
blanc vêtu, une guirlande électrique autour du cou. C’est l’un des piliers de
Fortune Records, toute sa production est d’ailleurs sortie sur ce label entre
1961 et 1964 (à l’exception d’un excellent inédit, « I Don’t Want No Bald Headed
Woman Telling Me What To Do », aussi mortel que ses meilleurs morceaux, merci
Norton). A 20 ans, sa carrière était donc déjà derrière lui! 40 ans plus tard,
il fait un poil plus que son âge mais c’est lui qui donne probablement le
meilleur show de la soirée. Il bouge comme un dingue et enchaîne tube sur tube,
évidemment « Village Of Love » mais aussi, entre autres, les très doo wop « Mr
Santa Claus » et « Lover Please » et les beaucoup plus funky « Leave Me Alone »
et « I want Love & Affection (Not The House of Correction) » (un vrai brûlot).
Sa voix ultrarauque est du meilleur effet. Chapeau bas, c’est parfait!
The Mighty Hannibal
Nathaniel Mayer
King Coleman
Rudy Ray Moore
On continue ce véritable rêve avec King Coleman,
super classieux lui aussi et bien décidé à mettre le feu (il aura d’ailleurs du
mal à s’arrêter en fin de soirée!). On retiendra son hit « (Do The) Mashed
Potatoes » (gravé sur 45t en 1959 avec le backing band de James Brown) et le
funky « Do The Boogaloo », parmi d’autres titres r&b très wild style! Depuis le
début des 70s, King Coleman est le Reverend Carlton Coleman et prêche en gospel.
Une véritable aubaine que de le revoir jouer ses anciens tubes.
Le public est en liesse, la tête d’affiche va bientôt arriver. De notre côté, le
combat est rude car avec six heures de décalage dans la tête, il doit être dans
les 7h et quelques du mat’ en France. Enfin, Andre Williams
pointe le bout de son nez! Le Dédé est bien plus en forme que la dernière qu’on
l’avait vu dans nos contrées pour la tournée « Black Godfather ». A l’époque, il
était presque blanc, véritablement méconnaissable, faisait assez peur et
semblait en fin de course... C’est donc avec joie qu’on le retrouve le sourire
aux lèvres et à nouveau moustachu. Il arbore fièrement un habit de marin qui lui
va comme un gant. Une fois n’est pas coutume, il livre un show uniquement à base
de vieux morceaux avec les Soul Shakers aux backing vocals (les voilà habillés!)
: « Shake A Tail Feather », « Bacon Fat », « Goin’ Down To Tijuana », « Jailbait
», « The Greasy Chicken » et quelques autres. Excellent. En milieu de set, c’est
Bettye Lavette qui vient le retrouver, il ne s’y attendait et il est ému, le
bougre!
Andre Williams
Andre Williams & Bettye Lavette Andre Williams &
Rudy Ray Moore
En guise de fin, tous les artistes reviennent faire un
long morceau sur scène pour notre plus grand plaisir, on sent qu’ils sont
heureux de se retrouver, de chanter et danser tous ensemble. En leur compagnie,
on se croirait revenus quelque part dans les 50s ou les 60s, loin du 21ème siècle et de sa musique industrialisée merdique marketée à tour de bras et à
laquelle on ne peut échapper une fois sorti de chez soi. Quel pied!
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LL.