SZIGET FESTIVAL

 Budapest, Hongrie, du 30.07.03 au 07.08.03

Par Crokoums Tétoums


De mon premier Sziget il y a deux ans, je ne garde que très peu de souvenirs musicaux. Noir Désir étaient venus et avaient donné un bon concert en fin d'après-midi, Morcheeba avaient été aussi passionnants qu'un bon cru des Chiffres et des Lettres. Aussi il y avait plein de bonne musique électronique dans le labyrinthe Cinetrip en paille. Mais ne me demandez pas plus de détails. Si il n'y avait pas eu autant de palinka - ce divin schnaps de prune ou poire, spécialité hongroise - la case "Sziget" de ma mémoire serait mieux rangée.

Alors cette année, je viens avec la plus ou moins ferme résolution de ne pas laisser les vapeurs d'alcool détourner toute mon attention de la musique. Ca serait d'autant plus dommage que la programmation est prometteuse. Pas le choix quand même, c'est pas les vacances, et nous n'arrivons que le vendredi vers minuit, soit au deuxième soir du festival. Asian Dub Foundation a joué dans l'après-midi, et Patti Smith hier soir. Dommage. Morcheeba vient de terminer son concert - eh oui, ils sont revenus - encore plus soporifique qu'il y a deux ans selon des festivaliers indifférents. A cette heure-ci, ce sont plutôt des DJ qui officient: direction l'espace Cinetrip (nom de l'asso qui organise les légendaires raves mensuelles dans les bains turcs Rudas - www.cinetrip.hu). Qui n'est plus en paille cette année mais confectionné dans une sorte de brande. Au-dessus de nous, les étoiles. Devant nous, un gars frisé, lunettes, avec un violoncelle entre les jambes, trippe en produisant des sons électro avec son archet. Tout près, son compère DJ, visiblement bien flippé au vu de ses mâchoires qui se frottent en permanence et de côté, ressemble fort à un chameau. Mais tous les deux sourient et, sur le dance-floor de paille, ça danse à donf! Techno-drum'n'bass, vraiment ça balance. Par contre, impossible, même avec le programme en main, de vous dire comment ils s'appellent. Ouah, la palinka est brûlante alors qu'elle doit être servie glacée, tu craches du feu. On va jeter un coup d'oeil aux alentours. Au moins, l'emplacement des scènes n'a pas trop changé, on se perdra peut-être moins sur l'île cette année. Dans la grande tente électronique, Goldie fait carton plein...c'est l'émeute à l'entrée, on se marche dessus, seuls nos deux potes nantais venus pour l'occasion parviennent, en se glissant sous la bâche, à pénétrer. Le son semble énorme, le rythme supersonique. Nous ne les retrouverons que quelques heures plus tard, bien chauffés par le set du roi de la jungle (de la djeungueule). Nos pieds à nous foulent la paille jusqu'à tard. Notre première nuit de Sziget 2003 fut électronique et diablement dansante. 

Samedi, le thermomètre explose, comme dans toute l'Europe apparemment. Nous évitons la tentation du scotch total et parvenons à déambuler dans Budapest. En fin d'après-midi, nous prenons le bateau tout près de l'île Marguerite, qui emmène les festivaliers vers Obuda, l'île voisine qui accueille ce gargantuesque festival, le plus grand d'Europe désormais avec une affluence de 400 000 personnes en une semaine. Juste à l'heure pour Kispal és a Borz, groupe pop-rock hongrois dans le vent comme semblent le prouver les centaines de fans qui reprennent les chansons en coeur. Pas mal, plein d'énergie, même si mon honorable niveau de hongrois ne me permet pas d'apprécier toute la pertinence des paroles. Ensuite, c'est Moloko (UK) qui fait irruption sur la scène principale. Commence alors un non-concert, une traversée du désert sonore. Et la chanteuse qui s'agite, lovée dans une sorte de rideau blanc, n'y change rien, au contraire. Pas grave, tant qu'il y a du bon vin blanc hongrois, tout va. Si bien que nous oublions notre rendez-vous avec nos compères anglais à Cinetrip ! Nous arrivons avec du retard mais ils sont encore là, ce qui n'est pas étonnant...le son est bon et la Cinetrip Visual Brigade projette des images psychédéliques à souhait. Les réserves de palinka du bar étant épuisées, c'est tequila time. 

Poum-poum-tchak-tchak-poum-poum-tchak. Tout le monde est déchaîné ici. On explore ensuite les tentes avoisinantes: Tilos Radio, fréquence pirate mythique de la ville, qui émet aujourd'hui sur la Toile (www.tilos.hu), a ses DJ aussi, dans une ambiance un peu plus underground. Dans ce coin, les tentes sont à moitié phosphorescentes, il y en a une qui propose des projections vidéo au plafond pour les gens qui papotent en bas sur des coussins. Tranquille. Dans la grande tente électro, c'est Dave Angel (US) qui fait crisser le vinyle. Tek minimale, efficace. On repasse un peu plus tard au moment ou The Advent (UK) a pris la relève. Nos deux nantais, grands teknoïdes devant l'éternel, nous affirment que c'est de la balle. Nous entreprenons maintenant une longue marche vers le sud, passons devant la grue de saut à l'élastique sans nous laisser tenter car nous y avons déjà goûté il y a deux ans, et parvenons à la tente Wan2 (nom d'un magazine musical local). Sur scène, les britons de Zion Train : dub time. Plus le concert avance, plus l'ambiance est torride dans le public. Car le dub est dansant, fait corps avec des beats redoutables et la voix d'une chanteuse pour le moins entraînante. Il fait 5O degrés. Le Zion Train va vite et accueille à son bord une foule qui jubile. Ce concert fantastique se termine dans une véritable frénésie manu chaoienne. L'un de nos potes se perd sur l'île, nous ne le retrouverons que le lendemain après-midi, hagard.

C'est dimanche...Le soleil décline, et le meilleur endroit ou aller à cette heure est la scène world-music, tout au nord-ouest de l'ile. Sur scène, les musiciens de Garmarna, groupe suédois, mélangent leurs instruments traditionnels (violon, viole...) à des sons plus modernes, en chantant dans leur langue natale, mystérieuse et belle. Musique très celtique. Ca donne envie d'aller faire un tour chez les Vikings. Retour vers la scène principale en début de soirée. Sur le chemin, on croise des jeunes rasés et en toge blanche : diantre, les lobotomisés d'Hare Krishna sont encore là. Ils encore ont du débourser cher pour pouvoir s'offrir une tente au festival. Qu'importe, les Fun Lovin'Criminals déboulent. Et mettent le feu en moins de deux! Avec leurs morceaux rock ricain limite cliché, ils amusent. Par contre, ils atteignent des sommets groovy avec ces bombes de funk ouaté dont ils ont le secret. Emouvant et joyeux hommage à Barry White sur "Love Unlimited". Puis vient l'instant attendu et néanmoins sauvage "Scooby Snacks", qui achève de mettre le public hors de lui. Huey, chanteur-guitariste irrésistible qui s'est mis la moitié des nanas de l'île dans la poche, l'affirme: ils sont heureux de jouer a Budapest. Les FLC méritent décidément leur réputation de groupe le plus coolos du monde et terminent sur une balade, "pour nous quitter sur une touche de bonne humeur". Nous sommes encore plus fans qu'avant. Après un petit tour au bar a vin, direction Wan2 pour l'un des événements hip-hop du festoche: Saian Supa Crew. Plein de monde, début impressionnant, la foule réagit au quart de tour. Seulement, c'est un peu monotone. Les 6 Français se passent le micro et rappent a la vitesse de l'éclair, mais derrière le fond musical n'est pas très fouillé. Au moment où nous partons, la salle se remplit toujours, sous la rumeur. 

Lundi: pause. Pas motivé pour aller voir Slayer. En revanche, pour aller faire la fiesta à Budapest, oui.

Mardi, on trouve toujours des gens qui se baladent sur l'île avec cette capote en tissu vissée sur la tête. Ils ont l'air bien ridicule. C'est vrai qu'au septième jour du festival, personne ne sait plus vraiment ou il est. Il n'y a plus d'herbe (celle sur laquelle on marche) depuis six jours. Sauf autour de la scène world music. On s'assied pour écouter les musiciens de Tecsoi Banda, moyenne d'age 6O ans : musique hongroise traditionnelle, vive, au précieux accent tsigane de transylvanie. Les festivaliers apprécient, certains sont même pris de transe. Délicieux dîner de cuisine gabonaise dégusté sous une yourte, puis retour vers la même scène pour voir une légende vivante et irlandaise: Shane Mc Gowan, accompagné de ses Pogues. L'homme s'installe sur scène clope à la bouche et verre de whisky à la main. A cet égard, le petit crochet installe sur son pied de micro, sur lequel il fixe son verre, qui reste ainsi a portée de main, c'est de la belle bricole. Direct, ca commence avec "Dirty Old Town". Ambiance bon enfant, style fest-noz avec jet de verres de bière dans le public de rigueur. L'ami Shane nous annonce qu'il va pisser au bout de quatre chansons. Il revient peu après, marmonne entre le peu de dents qu'il lui reste qu'il est content d'être en Croatie ce soir. Un Pogue lui souffle a l'oreille qu'il s'est planté de pays. Shane se reprend. Et c'est reparti pour de la musique irlandaise mélangée à ses aboiements de chien enrhumé. Quelle voix! N'étant pas connaisseurs des Pogues je n'arrive pas à faire la différence entre les classiques et les nouvelles chansons. Elles se ressemblent toutes. Mais le Mc Gowan est un phénomène, ça, on peut être sur que c'est certain. Vers 21 heures, la foule autour de la scène principale est impressionnante: il doit bien y avoir ici quelques 30 000 personnes. C'est en effet rien de moins que Massive Attack que l'on attend en ce dernier soir de Sziget 2003. Le groupe apparaît avec une petite demi-heure de retard pour cause de problèmes techniques. Autant dire qu' à ce moment la tension dans le public est a son comble. 3D attaque seul au micro pour le titre qui ouvre le récent et sombre "100th Window". Derrière, un écran scintille, en accord. 3D est vite rejoint par Horace Andy, reggae legend à la magique voix d'enfant, puis par le géant Daddy G, au flow grave et lancinant. La voix féminine noire est assurée par une femme qui ressemble fort à Shara Nelson (est-ce elle? nous ne le saurons pas), et la blanche par une jeune femme blonde inconnue au bataillon qui officie aussi au violon. Les titres mythiques puisés dans les trois premiers albums s'enchaînent. Le son est clair, les envolées de fin de chanson nous emmènent loin. Intercalés, les quelques titres du nouvel album font très bonne figure. En continu, l'écran charrie son flot d'info : des principaux budgets militaires et nucléaires du monde à la température qu'il fera demain, de la face fouinesque de George Walker Bush aux dépêches du jour en mode subliminal, le tout...en hongrois. Et c'est la que Massive Attack convainc. Parce qu'adapter un show à aussi haute teneur technologique et politique à la langue du pays dans lequel il est montré, surtout si ce pays est en Europe Centrale et peu habitué à tant de considération, relève d'une démarche aussi rare que nécessaire en ces temps d'élargissement d'Union et de bagarre contre l'uniformisation. En fin de concert, les membres du crew saluent, main dans la main. 3D, visiblement heureux, avoue que ça fait 4 ans qu'ils veulent jouer au Sziget. Ca valait la peine d'attendre: l'édition 2003 est conclue avec panache. Egesegedre ("santé" en hongrois - prononcez "éguèchèguèdrè").

 

 

SDZ CREW